By author > Lhuilier Dominique

Le processus de construction de la santé au travail des médecins généralistes libéraux : retour sur une recherche-action menée en Haute-Normandie
Magali Manzano  1, *@  , Dominique Lhuilier  2, *@  
1 : Santé au Travail 72
Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Santé
2 : CRTD CNAM
Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM)
* : Corresponding author

La thématique des risques professionnels et de la santé des médecins connaît depuis quelques années en France un intérêt grandissant auprès des professionnels et des étudiants en médecine. La psychologie du travail ne compte quant à elle aucun travaux sur ce sujet à ce jour, sauf sous l'angle psychopathologique du lien entre travail et suicide ou du burn-out.

Le Conseil National de l'Ordre des Médecins a publié des chiffres éloquents sur les suicides chez les médecins généralistes libéraux et a mis en place un Observatoire de la Sécurité. Bien que des initiatives voient le jour sur le territoire national, la prévention des risques professionnels peine à se développer auprès de ces professionnels et des institutions.

Le Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins de Seine-Maritime (CDOM 76) a souhaité étudier la faisabilité de la mise en place de prestations de santé au travail pour les médecins libéraux. Le travail présenté ici est le fruit d'une recherche-action menée en coopération entre conseillers ordinaux (eux-mêmes médecins en exercice), médecins du travail du Centre Hospitalo-Universitaire de Rouen (CHU), l'Union Régionale des Médecins Libéraux de Haute-Normandie (URMLHN) et deux psychologues du travail.

Les psychologues du travail ont été chargées de conduire une étude qualitative sur le processus de construction de la santé au travail des médecins libéraux et de favoriser la co-construction du projet et futur dispositif de prévention par les différents acteurs.

La difficulté à définir la santé (au travail) comme la multiplicité des facteurs susceptibles de l'altérer rendent indispensable une meilleure compréhension des conditions et des processus par lesquels un individu est déclaré, par lui ou par d'autres, en « bonne santé » ou pas. Des données objectives sur l'état de santé peuvent être établies mais l'état de santé perçu est le fruit d'une construction psychosociale. Même si la littérature scientifique, médicale en particulier, met l'accent sur l'état de santé des médecins (généralistes) et sur la façon dont ils se prennent en charge, rares sont les études portant sur les processus de construction du rapport à leur propre santé dans le cadre de leur activité. C'est pourquoi, cette recherche-action a exploré et analysé le rapport de ces professionnels à leur propre santé en situation de travail et leurs pratiques de santé. Ce qui a permis de repérer à la fois les ressources et les différents freins au développement de conduites préventives comme concernant le recours aux dispositifs existants ou à construire.

Nous avons réalisé 20 entretiens semi-directifs auprès de médecins généralistes des départements de Seine-Maritime (76) et de l'Eure (27) et contribué à l'ensemble des réunions du comité de pilotage du projet comprenant des membres des institutions évoquées plus haut.

L'exploration auprès des médecins libéraux a porté sur leurs représentations des risques (risques privilégiés ou occultés) et la manière dont ils sont anticipés, régulés (régulations individuelles, collectives) ou non, sur les sources de satisfaction au travail comme sur les difficultés ou épreuves de ce travail, sur leurs appréciations relatives à la mise en place d'un dispositif de médecine préventive.

Il s'agit moins ici de construire un réseau de causalité que de dégager et de hiérarchiser des significations, des logiques d'actions et de rapports sociaux. En définitive, il s'agissait de remettre les éléments signifiants à disposition des acteurs pour qu'ils se réapproprient le sens de leurs échanges et de leurs pratiques.

Les principaux résultats de notre recherche mettent en évidence que la solitude dans l'exercice est une dimension ayant un impact très important du point de vue de la possibilité de prendre soin de soi ou non. Toutefois, ce serait le prix à payer pour son indépendance, il s'agit donc d'un risque tacitement partagé empêchant plus ou moins d'évoquer sa plainte à des autrui signifiants.

Un autre aspect concerne l'usage social qui est fait du terme burn-out, rappelons que ce concept est présenté dans la littérature médicale comme permettant d'expliciter au mieux les maux de la profession médicale. Pour les professionnels ce terme permet de parler, d'évaluer les pratiques des uns et des autres en repérant ce qui relève du « bon » professionnel et du « mauvais ». En filigrane s'esquisse la question des règles sociales, techniques et éthiques du métier.

Les mutations du métier ont également étaient abordées sous l'angle de la pratique de groupe, perçue plutôt comme une ressource pour sa santé ou encore à travers le travail administratif et le rapport aux organismes de tutelles, pointé comme une réelle source de tensions.

Enfin, l'analyse du rapport au temps de travail comme instrument de l'activité et comme modalité d'usage de soi a permis de comprendre les enjeux et implications pour ces professionnels.

Une association a depuis vu le jour permettant de suivre la santé au travail des médecins libéraux de Haute-Normandie.

 


Online user: 1