By author > Casini Annalisa

Santé et conditions de travail des dirigeants de petits commerces
Céline Mahieu  1, *@  , Annalisa Casini  1@  , Isabelle Godin  1@  
1 : Centre de recherche interdisciplinaire approches sociales de la santé, Ecole de Santé Publique, Université Libre de Bruxelles  (CRISS-ESP-ULB)
* : Corresponding author

Cette proposition de communication est issue d'une recherche actuellement menée sur le bien-être au travail dans les petites entreprises de moins de 20 personnes dans les secteurs du commerce de détail, du soin (salons de coiffure et d'esthétique) et de l'horeca. La présentation est tirée du volet qualitatif de l'enquête qui comprend la réalisation et le traitement d'une quarantaine d'entretiens semi-directifs. Des dirigeant-e-s de petites entreprises (18 entretiens) et des acteurs institutionnels en contact direct ou indirect avec celles-ci (organismes de représentation des PME et d'aide aux entreprises en difficulté, etc. : 11 entretiens) ainsi que des travailleurs/ses ont été rencontrés. Dans le cadre de cette communication centrée sur la santé des indépendant-e-s (au sens large), nous limiterons l'analyse aux deux premières catégories d'entretiens (dirigeant-e-s et acteurs institutionnels) et n'étudierons pas en détail la question des relations entre dirigeant-e-s et membres du personnel.

Nous examinerons les problématiques liées à la santé des dirigeant-e-s de petits commerces dont la relative similitude en termes de droits sociaux et de conditions de travail avec les indépendant-e-s au sens strict nous paraît autoriser une assimilation à la catégorie plus large des « non-salariés ». Cette catégorie présente une forte hétérogénéité puisqu'elle regroupe aussi bien les agriculteurs que les artisans et les professions libérales ainsi que, dans notre cas précis, les dirigeant-e-s de petites entreprises. Élisabeth Alvaga et al. (2011) évoquent pourtant l'intérêt d'étudier la santé de ces travailleurs/ses non-salarié-e-s à cause de l'homogénéité de certaines de leurs conditions de travail – notamment la fragilité des frontières entre travail et vie privée, l'amplitude des horaires hebdomadaires et la fréquence des horaires atypiques (p. 8) – à quoi on peut ajouter avec Françoise Piotet (2011) un statut (l'absence de subordination juridique) et des représentations (autonomie dans la pratique du métier ou à tout le moins indépendance dans l'acte commercial) partagés.

L'impact du travail sur la santé est parfois masqué de manière involontaire par les comportements et attitudes des travailleurs/ses eux/elles-mêmes (Gollac & Volkoff, 2006). Certains de ces masques sont également mobilisés par les dirigeant-e-s de petits commerces, comme la censure psychique – qui implique que face à un risque grave dont on ne peut se protéger, « on évite d'évoquer le danger » et même « on le défie par des prises de risques volontaires » (Idem, p. 8) – ou la muliérité – qui « pousse les femmes à nier qu'un travail routinier ou marqué par une forte dépendance à l'égard de la hiérarchie ou de la clientèle (sur le mode de la soumission ou celui du dévouement) puisse représenter un coût pour leur santé physique ou psychologique » (Ibidem). Notre objectif est pourtant de rendre compte de l'expérience de travail telle que la vivent ces commerçant-e-s, avec toute l'ambivalence dont elle est porteuse dans ce contexte en particulier comme dans bien d'autres : à la fois plaisir et souffrance ; étayage de la subjectivation des travailleurs/ses, de leur capacité de production des normes et impuissance à leur échapper (Clot, 2010; Roche, 2010), car l'absence de lien de subordination caractéristique des non-salarié-e-s n'implique pas l'absence de règles et de contraintes dans l'exercice de l'activité (Piotet, p. 424). Nous nous intéresserons donc au lien entre les conditions de travail de ces commerçant-e-s et leur bien-être entendu comme leur capacité à faire face aux tensions psychiques auxquelles ils/elles sont confronté-e-s, à se réapproprier leur puissance d'agir et à faire preuve de normativité (Clot, 2010; Roche, 2010) en « jouant » avec les contraintes que font naître les interactions avec les clients, l'application des règlements et législations, la gestion des relations aux fournisseurs et financeurs.

Dans le cadre du volet qualitatif de notre étude, le bien-être des commerçant-e-s s'appréhende à travers le degré de satisfaction au travail qu'ils/elles expriment, l'interprétation qu'ils/elles donnent à la maladie ou risque de maladie (présentéisme, sentiment d'impuissance ou prévoyance), la mention de troubles psychologiques (sentiment de stress, trouble du sommeil, fatigue chronique, etc.) ou physiques (lombalgie, troubles musculo-squelettiques, etc.), l'articulation vie professionnelle-vie privée (et notamment le degré de contrôle sur l'amplitude des horaires hebdomadaires et la fréquence des horaires atypiques). La capacité d'un commerçant à faire face à ses conditions de travail pourrait selon nous dépendre notamment de l'état du marché du travail, et du sens que l'indépendant attribue à sa présence sur ce marché en tant que non-salarié : choix délibéré ou contraint par les difficultés à s'insérer comme salarié rencontrées plus particulièrement par certaines catégories de population (p. ex. certain-e-s travailleurs/ses d'origine immigrée). En outre, la maîtrise d'un métier ou le degré de professionnalisation paraissent des éléments qui permettent à l'indépendant de se mettre à distance des atteintes à son bien-être que peuvent générer les relations à la clientèle. C'est le cas aussi des réseaux familiaux ou ethniques dans lesquels s'inscrivent les indépendants (réseaux de solidarité mais aussi de contrainte). Enfin, le contexte socio-économique global – des études épidémiologiques ont montré que l'instabilité économique et la précarité de l'emploi qu'elle génère ont un impact négatif sur la santé (Godin, et al., 2002; Godin & Kittel, 2004) – et propre au quartier commerçant (les commerçants liés par une position géographique développent entre eux des rapports de concurrence et d'interdépendance (v. notamment Hotelling (1929) ; Kesteloot & Mistiaen (1997)) jouent également un rôle dans le ressenti des travailleurs/ses quant à la maîtrise de leurs conditions d'emploi et de travail.



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